La mort du neuf et la fin de l’usage exclusif.
Dans notre recherche de sens dans une société d’abondance, les préoccupations écologiques ne sont plus l’exclusivité d’illuminés verts. Il faut étouffer notre fascination du neuf, sous peine d’étouffer notre planète même.
L’économie de service a initié le jeu et celle de l’expérience à définitivement changé les règles et tué la nécessité du neuf. Puisque le produit convoité n’est plus l’objet, mais bien les services et l’expérience qui l’accompagnent, qu’importe si le véhicule de cette expérience est neuf ou pas ! il n’est en que l’interface nécessaire, le sésame pour accéder aux expériences promises.
Dans le même temps, les logiciels ont initié la danse avec leurs mises à jour permanente, pour devenir une composante même de nos vies connectées : le versioning de nos applications s’est incarné dans l’obsolescence de nos objets du quotidien. Le prix élevé de nos smartphones n’est plus un frein, il faut plus le voir comme un investissement d’usage : l’objet sera revendu, puis le fruit de cette revente, réinvesti dans un téléphone dans sa dernière version, comme une maison un peu plus grande, comme une voiture un peu plus puissante et familiale à la fois, le téléphone est devenu définitivement un marqueur social qui vaut la peine d’être investi.
En tant qu’être humain, nous subissons aussi les effets collatéraux de ce versioning, comme philosophie de vie : nos compétences doivent être mises à jour, nous accumulons emploi et travail, tous slashers en puissance et l’allongement de notre durée de vie nous rendent incapables de nous projeter dans un avenir radieux et dessiné à l’avance. Nous aurons plusieurs vies au gré de l’invention des métiers connectés, qui seront autant de nouvelles étapes professionnelles, dont la destination finale ne sera définitivement plus une mise en retraite.
Finis les carrières d’une vie chez un unique employeur, finis les objets dont nous avons l’exclusivité toute une vie durant : nos vies aussi seront multiples dans ses expériences et ses usages, nos maisons et nos voitures deviennent partagées aussi… Maisons, voitures, entreprises et tout le reste seront conçues pour être multisessions.
C’est l’aube des objets animistes qui pointent. Nos enfants auront une spiritualité connectée : avec un peu de poésie, les réparateurs de nos objets digitaux sont comme des chamans qui les exorcisent à coup de mise à jour, chassant les préférences et les contenus de leurs propriétaires précédents ; avec un peu de philosophie, nos enfants se préoccuperont moins de nouveautés que des expériences que les objets héritent de leurs différents utilisateurs, enrichissant leurs esprits, comme des hackers spirituels.
Et le concept de neuf, de la nouveauté, telle que nous la connaissons, sera mise à jour et nous pourrons nommer chaque objet, chaque maison, chaque voiture pour les rendre uniques et tracer ainsi toutes leurs histoires, leurs interactions et leurs contributions pour notre Terre.