Kung-fu, Dédale et les métiers du numérique
« Il faut maîtriser les mille formes de Kung-fu et ses mille variantes ! Alors tu seras libre » clame le Maître de Kung-Fu à son Disciple.
Alors, pendant dix longues années, jour après jour, compétence après compétence, le Disciple se met à forger les mille formes et ses mille variations de son Art, rêvant du moment où il dépassera son maître et ainsi pourra se libérer de son joug.
Dans le même temps, le Maître lui aussi, consolide son expertise et les mille formes et ses mille variantes fondent à présent l’école des dix-mille mouvements de son art. Et pourtant quand le Disciple est tout près d’achever sa millième variation de sa millième forme, son Maître le libère quand même et le considère comme son égal.
« Maître, pourquoi m’abandonner maintenant ? Vous me dites votre égal, mais je le sais bien, je ne suis qu’un apprenti face à votre fructueuse école des dix mille mouvements ! » implore le Disciple.
D’un air contrit, le Maître lui révèle : « Je ne suis plus ton Maître et tu ne seras plus jamais libre désormais : les mille formes et ses mille variations sont les millions de barreaux de ta prison, que tu as mis tant d’années et tant d’amour à façonner. Nous sommes égaux, car nous sommes tous les deux captifs de notre art. Ce qui nous vaut tant d’admirateurs, ce qui fait que nous en perdons jusqu’à nos noms, pour n’être que Maîtres et Disciples. »
Regardons attentivement autour de nous : dans notre société connectée aux dix mille formes de compétences et ses dix mille formes de variations s’épanouissent des millions de Maîtres et de Disciples. Et tels des Dédale et des Icare des temps numériques, ils s’emmurent avec passion dans leurs œuvres, ne laissant que douleur et tragédie comme chemins pour s’en échapper.