Dans un ultra en solitaire, en vélo et à pied aussi j’imagine, des pensées et des amis imaginaires finissent toujours par émerger. Qu’ils prennent la forme de douleurs, d’émotions, de moments de grâce, ils vous accompagnent, vous encouragent, ou vous confrontent à vos doutes à chaque mètre parcourus.
L’avantage quand on roule en groupe, les discussions avec les camarades, même à bâton rompu, tiennent à distance ces éphémères. La parole, le verbe haut et parfois coloré des camarades de kilomètres sont les garde-fous de l’imaginaire du solitaire.
Comme l’énigme du Sphinx, un ultra en solitaire est découpé en trois moments.
La jeunesse, c’est le matin du voyage.
Comme l’Enfant sur ces quatre membres, il est stable. Pas aussi rapide, mais plein d’allant et d’envie de découvrir, fureter à droite et à gauche, le nez à l’air, de découvrir les paysages autour de lui. Tout simplement heureux d’être là, de suivre son fil et de déplier ses jambes pour parcourir le monde. À l’aube, la Ville est calme encore, les forêts aussi, ils forment ensemble un terrain de jeu sans limites pour l’enfance du voyage et toutes les hypothèses semblent réalisables : tenir la moyenne, rester fluide, être lucide.
En pleine force de l’âge, c’est midi pendant le voyage.
L’Homme est fait pour être sur deux jambes, il est le plus efficace. En déséquilibre sur deux rouges qui reste une forme d’équilibre, pour avancer, avancer et avancer. La jeunesse du matin est vite partie, à peine le temps de donner le ton de l’aventure, de trouver le rythme qui nous feras avancer. On commence à faire un premier bilan à mi-parcours. Les errements poétiques du matin deviennent des erreurs de jugement. À ce point de pivot de notre épreuve, l’on commence a optimiser les trajectoires et rythmes futurs sur les sensations vécues du matin.
Le soir du voyage, c’est le temps des amis imaginaires.
Les articulations grincent, les reliefs prennent plus de hauteurs et nos jambes lisent les moindres cailloux des chemins, comme un aveugle lit le braille. Comme des vieux amis, les doutes arrivent et chuchotent à la périphérie. C’est une course en avant, une course contre la montre maintenant. Et le moindre arrêt donne le temps aux doutes de nous rattraper et confondre leur litanie avec le bruissement des feuilles dans le vent. Avec l’expérience, la conscience reste claire et la lucidité rodée nous fait dire : « Bienvenu mes vieux amis, c’est donc le temps des retrouvailles ! C’est donc le crépuscule de mon voyage déjà ! ».
Car ils ne nous lâcheront plus jusqu’à destination, ces amis. Les petites douleurs, les raideurs, la soif surtout et parfois la faim et les interrogations aussi, quasi existentielles : « Mais qu’est-ce que je fais là ? » que nulle réponse ou goutte ne peut satisfaire réellement, car on paie une mauvaise gestion de son eau toute la journée. Mais l’arrivée n’est pas loin. Enfin elle n’est pas lointaine. Nuance. Une subtilité kilométrique que l’on n’avait pas encore acquise le matin du voyage.
Il fait nuit noire dans la forêt et mes lampes forment des oeillères pour dessiner sur ce tableau noir des racines, des cailloux et des chemins qui serpentent, qui s’agitent sous le mouvement des faisceaux lumineux. Tout va bien, la fin du voyage est proche. À bientôt mes vieux amis.
À mes camarades d’ultra, qui étaient en groupe, n’avez-vous pas entendu les chuchotements du Sphinx à l’orée de vos discussions animées ?
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Récit de la Paris Green Belt 2020. Cyrus Macaigne, Aurélien Dorgeret, Christobal Arnlt, de loin
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