L’art du bonsaï et la science des objets connectés
Du premier silex taillé aux objets connectés, ces artefacts sont comme les éléments de décors d’un jardinier féru de bonsaïs, utiles pour structurer son monde en miniature. Ces objets, métaphoriquement, font aussi attacher, supporter, contraindre, découper, fertiliser et arroser nos esprits au quotidien, favorisant ainsi notre floraison et la production de nos fruits. Même les objets qui génèrent de l’ennui permettent la mise en jachère de notre attention dans ce jardin.
Et on y trouve toute sorte d’objets…
Il y a les objets fertiles qui nous nourrissent, nous inspirent, parce qu’ils ont une charge affective : c’est notre madeleine, c’est un gri-gri avec plein de souvenirs infusés. C’est une éponge animiste qui absorbe les effluves de nos coeurs, mais qui nous le rend bien en cas de grande soif.
Il y a les objets vampires qui, comme des tiques aspirent notre attention, réduisant de moitié nos journées, ralentissant la croissance de notre jardin : une ponction indolore et invisible de quelques secondes à chaque fois, apprenant ainsi à prédire nos faits et gestes, humeurs et minutes d’attention pour anticiper leurs prochains dus. Ce sont des objets qui nous rendent assez prévisibles pour rentrer dans un algorithme.
Il y a les objets miroirs qui démultiplient nos personnalités à l’infini, cultivant ainsi une forme d’immortalité numérique. La mort signifiant juste la fin du direct. Les Indiens avaient raison de craindre le vol de leur âme. Et ces selfies qui dérivent sont comme des mues successives de nos personnalités, alimentant comme du plancton fertile les poissons-lunes des océans de données.
Si la liste descriptive de ces nouveaux objets est loin d’être terminée, ils ont tous en commun d’être à notre image : à la fois matériels et immatériels, comme pour mieux nous être perméables et indispensable à nos vies physiques et connectées. Oui, les objets ont une âme désormais.
Dès lors, comme quand on admire un bonsaï et son devenir saison après saison, il est facile d’estimer nos possibilités de croissance, comme il est facile de prévoir dans les circonvolutions des racines et des branches de nos mondes miniatures, envahis par ses tuteurs connectés, sa taille définitive. Il est facile de prévoir, en observant attentivement à la fois les objets qui nous lient et leurs ombres numériques, notre territoire d’être définitif.
L’art du bonsaï et la science des objets connectés ont cela de commun de singer l’infinie nature, pour en faire un modèle clos, miniature, dépendant et prévisible.
Si nous avons bien émergé de notre caverne et de ses ombres depuis l’âge de pierre, nous l’avons reproduite à l’identique avec nos pixels et nos avatars en guise d’ombres projetées.