Lettre à Edwin Abbott Abbott, designer d’un nouveau monde.

Cher Edwin Abbott Abbott,

Aviez-vous prédit notre monde connecté en écrivant votre roman Flatland ? Vous y donnez vie et conscience aux formes géométriques, comme le point, la ligne et les surfaces, avant de les faire découvrir l’univers des volumes… et mettre en scène leurs difficultés ou impossibilité à comprendre et vivre dans cet espace volumique.

Si c’est la profondeur qui révèle une nouvelle dimension dans le monde plat de Flatland, c’est la transparence qui nous ouvre de nouvelles perspectives dans notre monde connecté. 

Une transparence comme une nouvelle dimension, que la culture numérique fait émerger.

Et comme par magie, nos vies sont devenues transparentes : nos moindres actions sont décryptées par les réseaux - la frontière entre l’intime et la sphère publique devient une marchandise dans un monde ou une personne physique dispose d’autant de pouvoir d’exposition et de promotion qu’une entreprise.

Ces entreprises elles-mêmes deviennent transparentes. L’intimité des organisations aussi est dévoilée, l’éthique dicte le marché à côté de l’étiquette du prix et le meilleur programme de fidélité client sera une économie circulaire pour sauver la société.

Car la société subit la transparence de plein fouet, révélée par les tiraillements de  ses fondations : l’éducation, la santé, le travail, les identités culturelles ne sont plus des piliers de cohésion quand la multiplication d’alternatives, de renoncement ou défiance, rendues visibles, anticipe la transformation même de nos vies.

Comment agir pour ce futur transparent face à ces transformations ? 

En tant qu’individu, il nous reste une forme de liberté. Devenir numériquement invisible pour ne pas être modélisé, prévisible et quantifiable. Multiplier nos identités numériques, pour cloisonner nos différentes activités, fragmentant ainsi notre vraie personnalité et ne plus la rendre visible dans sa globalité. Choisir d’être si cohérent dans nos actes et nos représentations numériques, que la transparence devient alors pour l’individu un pouvoir de résonance.

Pour l’entreprise, cette résonance est incarnée par la révélation de sa chaîne de valeur : la colonne vertébrale de l’entreprise, qui lie son intérieur de son extérieur, est son véritable produit. Les géants du numérique l’esquissent déjà en inscrivant leurs usages dans nos quotidiens. Ils n’ont plus de dedans et de dehors, plus de clients et de collaborateurs. Ils esquissent de nouvelles formes de citoyenneté.

Et face à toutes ces transformations, la société telle que nous la connaissons est une cause perdue, car elle ne se réinvente pas. N’ayant plus l’exclusivité de ses piliers de cohésion que sont l’éducation, la santé, la culture… elle a donc perdu le monopole de la citoyenneté.

Cher designer d’un Nouveau Monde connecté,

Comment décririez-vous ce Nouveau Monde connecté aux points, lignes et surfaces de notre monde ? Et quelle nouvelle citoyenneté pour survivre à l’émergence de ce Nouveau Monde transparent ?